[Fan-Fiction] Short-story : Tactica

Tactica

[n.f.] art de manœuvrer et de combiner les forces disponibles pendant une bataille.


[...]

Un vend froid s'était levé sur la plaine morne, son sifflement mélancolique uniquement ponctué par de sourds chocs, faisant trembler le sol gelé.

Le ciel couvert était d'un gris tantôt rougeâtre, brunâtre ou simplement couleur cendres, auquel s'ajoutaient parfois d'imposants champignons de vapeur et de gaz, eux-même le plus souvent gris, ou encore de sobres colonnes courbées de fumée noire, s'élevant lentement dans le ciel ...

De toute manière, quiconque levait les yeux vers le ciel n'y voyait que des couleurs mornes si ce n'est macabres.

La terre elle-même était d'un brun sombre proche du noir ; parfois d'une couleur rappelant vaguement l'argile, quand les pluies - acides - tombaient sur cette plaine flétrie, formant des mares vaseuses, de dimensions et de profondeurs variables ... Mais toujours constituées de cette même infâme boue, qui collait à tout, qui prenait tout et ne rendait rien, que ce soit la botte d'un soldat, la patte d'une monture ou les mécanismes d'une machine ...

Qu'ils lèvent les yeux au ciel ou les baissent au sol, les soldats, de toute manière, ne voyaient que des couleurs de mort.


Sans grande précipitation, l'hiver était venu et s'était installé, comme un clochard qui investit un coin de rue sombre, avec la ferme intention d'y rester aussi longtemps que possible.

Les rares chanceux à pouvoir percer les nuages, toxiques, et à voir l'azur, les pilotes donc, avaient pu remarquer que celui-ci avait pâli, alors que l'indigo de la nuit s'était approfondi, faisant ressortir l'éclat des quelques constellations qui daignaient ponctuer le ciel nocturne.

Ceux-là, au moins, pouvaient voir le vrai ciel. Ils étaient bien les seuls.

[...]

Le bruit de pas d'une centaine de bottes martelant le sol gelé et pétrifié pour les mois à venir ne dérangea pas celui qui se tenait debout, accoudé sur la table devant une carte d'État-Major visiblement désespérante ; pas plus que le grondement sourd du Blindé accompagnant le régiment de recrues arrivant sous peu en Première ligne.

Ces bruits-là étaient habituels, quotidiens, de même que les fréquents fracas des obus s'abattant sur les lignes quelques Kios en arrière de ces lignes, ou même un peu en avant - c'était bien la raison pour laquelle on avait installé le Bunker de commandement juste au niveau des secondes et troisièmes Lignes - jugées probablement comme insignifiante stratégiquement, elles n'étaient donc jamais inquiétées des véhémences des Gros Calibres d'en-face.

Le personnage, s'essuyant le front et prenant un instant de pose pour s'éloigner vite de la Carte Stratégique, croisa les bras dans son dos et s'approcha de la baie vitrée de la salle aux murs de métal où il était, pour observer la Colonne qui progressait tranquillement - presque gaiement : malgré l'épaisseur, percée et fendue de toutes part, de vitre " à l'épreuve du Vide " , il devinait les joyeux chants de ces soldats " frais " ; la plupart de ces chants étaient soit " patriotiquement correctes ", soit plus ... traditionnels, parlant tous de campagnes verdoyantes, de Terre Nourricière - ou de Mère Patrie - ; de compagnons et camarades joyeux d'être ensemble et d'aller au combat ensemble, et, pourquoi pas, de mourir ensemble.

Le personnage soupira, haussant des épaules, un mélancolique sourire fendant discrètement son visage, les yeux tantôt sur la colonne s'éloignant, au rythme du tambour régimentaire, tantôt dans le vague de la Plaine, laissant finalement son regard se perdre dans le non-horizon flou, une fois que la Troupe se fut éloignée hors de son regard.

Lui aussi, avait été ainsi, il y a fort longtemps ... Quand les raisons de se battre lui semblaient encore valables, quand les moyens de se battre étaient encore "honorables", quand on savait que les adversaires n'étaient pas imbattables.

A combien de temps cela remontait-il ? Il ferma les yeux, cherchant un instant à se remémorer ce temps-là ... Oh, il ne comptait plus les décennies passées ... Même pas sur un même Continent, ni même sur une même région ... Mais sur une simple portion de territoire, sur une dizaine de Bios, ou - le pire de tout - sur une Ville.

Il frissonna, rien qu'à la pensée de ces combats, ces quelques combats urbains - il avait tenté de les éviter au maximum , ces luttes de ville, où l'on ne mesurait plus les combats par Quartiers, ni même par Rues, ou par pâtés de maisons - par étages, par couloirs et par escaliers.

Lui qui avait dépeint la Conquête et la Domination comme les seuls moyens valables pour une Puissance d'affirmer sa place et sa valeur parmi les autres, lui qui avait été pionnier dans l'Art de la Guerre - ainsi, tuer son prochain pouvait être considéré comme 'beau', il avait failli l'affirmer - ; lui qui avait véritablement structuré l'Armée à qui il avait dédié le service de sa vie, il tremblait rien qu'à la pensée, rien qu'au presque intangible souvenir des combats urbains...

Il l'avait lui-même écrit dans un de ses Mémoires, " Le Duel à l'échelle Nationale, qu'est la Guerre, met en valeur ce que chacun a de mieux en soi-même pour la Communauté, pour la Nation - et, naturellement, récompense proportionnellement ceux qui donnent le plus, que ce soit pour la Nation ou simplement leurs camarades. "

Mais il l'avait vécu lui-même, la lutte acharnée pour un champ de ruines, qu'il brûle encore ou que ses cendres soient déjà froides, que l'on nomme " Siège", montre mieux que tout ce que chacun a de pire en lui-même, pour sauver sa propre existence ; et ce cimetière urbain à ciel ouvert, décuple proportionnellement les chances de survies de ceux qui sont les plus égoïstes et les plus sauvages, que ce soit avec leurs " adversaires " officiels , ou avec leurs " camarades " ...

* Mais , pensa-t-il, après une décennie de charnier quotidien, qui n'avait même plus de sens au bout des huit premiers mois, le pire adversaire que l'on puisse avoir trouvé n'était pas systématiquement en-face - et le canon des fusils n'était pas toujours braqué en direction de la Bannière que l'on ne représentait pas ...*

Le personnage fut tiré de ses pensées par des coups frappés à la porte de métal rouillé qui prétendait clore la pièce aux cloisons d'acier.

Il resta pourtant quelques instants dans un vague de pensées floues, alors qu'il voyait, tombant des nuages noirs et gris, des flocons de neige s'amasser sur le sol noir et labouré...

Il se retourna, et toussota un " Rentrez ", pour voir la porte s'ouvrir en un gémissement de gonds rouillés, sur un jeune sous-officier, porte-message pour l'occasion, comme il put le voir de par le bandeau blanc passé à son bras.
Le nouvel-arrivant portait un uniforme qui, malgré l'âge de son porteur, n'était plus neuf depuis longtemps - reprisé par endroits, troué dans les manches, sali et taché, aux jambes ainsi qu'aux pans inférieurs du manteau-long couvert de boue séchée.

Il ne put réprimer un soupir de satisfaction à la vue de l'uniforme vert-gris - le principe même d'uniforme complet lui était dut ; avant cela, on se reconnaissait, entre guerriers d'une même faction, que par des épaulières frappées du blason de la cause que l'on avait embrassé, peinte de la couleur de la Bannière que l'on servait, etc ...

Mais en vérité, il gardait une part de honte quand à la généralisation de l'Uniforme, autant de son côté qu'en-face - sous un motif différent, bien sûr.

Désormais, rien ne ressemblait plus à un soldat, qu'un autre soldat - et l'impersonalisation ne fit que s'accentuer quand la toxicité de l'air rendit le port de masques à Gaz nécessaire à la survie, surtout en première ligne...

Le jeune gradé qui attendait sur le seuil de la porte, au garde-à-vous, avait du profiter de son probable retrait de Première ligne pour passer sa tenue de " repos " : il s'était débarrassé de son sac et de ses sacoches, ne gardant que le minimum - c'est à dire sa besace à vivres ; son masque à gaz était vaguement retenu à son cou par une sangle, et il s'était séparé du lourd casque au profit d'un petit calot - qui, si il restait en vie assez longtemps, pourrait être échangé contre une casquette de haut-gradé ...

Le jeune soldat du voir que le regard de son Supérieur se portait sur son calot, car il fit un geste de la main pour demander silencieusement si il devait l'ôter - mais le premier remarqua que par ce calot, passait une bande d'étoffe servant de cache-œil ; avant qu'il n'ait répondu, le jeune gradé commençait à l'enlever, révélant un instant un orbite vide, à-demi cicatrisé...

Il fit un geste de la main pour arrêter le mouvement du messager, qui s'empressa de remettre son calot et, surtout, son cache-oeil ... Il hocha de la tête en direction de son Supérieur, et rentra, refermant la porte derrière lui en un nouveau gémissement de métal mal-entretenu.

Le "jeune" se racla la gorge avant de commencer :

" ... Merci de me recevoir sans délais... Shas'ui. La missive que je vous apporte vient d'En-Haut - c'est tout ce que je puis vous dire, moi-même ne le sait pas : mon supérieur direct s'est contenté de me donner la lettre avec instruction de vous la remettre dans les plus brefs délais ... "

Tout en parlant, le messager avait ouvert son manteau-long pour fouiller dans une poche intérieur, et en sortit une petite lettre, cachetée avec soin, avec un petit disque de métal finement gravé, détaillé d'enjolivures finement travaillées ... Rien que cela suffisait pour reconnaitre l'authenticité d'une missive du Haut-Commandement.

Shas'ui hocha la tête et prit la lettre sans l'ouvrir, ni même prononcer un mot.

Il soupira, et chercha un instant des yeux le galon personnel du Messager; celui-ci sourit vaguement en voyant le visage étonné de son interlocuteur, devinant la raison de sa surprise :

" Ne cherchez pas, je n'en ai pas ... Ou plutôt, plus... Plus depuis que mon propre uniforme a brûlé, ainsi qu'une bonne partie de moi-même, lors d'une méchante contre-attaque dans le Secteur 12 ...
J'ai eu de la chance, j'étais adossé contre la paroi de la tranchée quand ils sont arrivés, et un obus plus ou moins chanceux a en renversé toute une portion sur dix Bios, y comprit là où je m'abritais ...
Je me suis retrouvés à moitié sous les débris, la tête trempant dans une flaque d'eau croupie, quand leurs Lances-Flammes ont entamé le débat ...
J'ai failli y perdre les jambes, mais un éclat de métal a je ne sais comment percé le tas de gravas, jusque dans mon oeil...
Heureusement pour moi qu'il s'y est arrêté.
J'ai eu de la chance, pas le reste de ma Section.
On m'a remis une médaille pour cela, et on m'a fait monter en grade.
En guise de remerciement " pour une loyauté à l'épreuve de la Mort ", on me l'a remplacé. L'uniforme, pas le reste."

Esquissant un sourire peu assuré, le Messager se sentit à l'aise en voyant Shas'ui rire doucement de la plaisanterie.

Shas'ui allait parler, quand une sonnerie éraillée retentit dans la pièce; ce dernier se précipita sur l'interphone et le saisit, faisant signe à son camarade de lui faire passer la Carte...

" Oui, Tericarax? Oui ?
Vous avez le rapport du Front des deux dernières semaines pour les Secteurs 6 à 12, comme je vous l'avais demandé ?
Quoi ? Répétez ?
Ah !
... Oh. Oui, j'ai entendu. C'est compris...
Ne vous inquiétez pas, j'ai vu passer des renforts, très sûrement pour ce secteur...
Puisque vous en parlez, j'ai reçu un courrier de Là-Haut... Sûrement les nouveaux ordres.
Oui, bien sûr, quoi d'autre, de toute manière...
... Très bien, je m'informerais à ce sujet. Espérons que la transmission restera en état d'ici là ... Tenez-moi au courant dès que possible.
Bonne chance, Tericarax, vous en avez plus besoin que moi. "

Shas'ui raccrocha, reposa la Carte et soupira.
D'une voix distraite, il demanda :

" Et ... Quel est votre nom? "

L'autre sourit vaguement et répondit :

" Galakstrakk. Je sais, oui ... Pénible à épeler, mais je suis fier de ses origines. "

Un sourire discret fendant son visage usé, Shas'ui hocha la tête en signe de compréhension.
Soudain, ce dernier réagit à une pensée intérieur, et demanda à Galakstrakk :

" Vous qui venez du Secteur 12 ... Vous n'étiez pas sous les ordres d'un certain ... 'Rouage' ? "

Le visage du messager se ternit alors qu'il répondait vaguement :

" Oui, oui ... Bien sûr ... comment le savez-vous ? "

Shas'ui répondit distraitement :

" C'est ... Une vieille connaissance. Ainsi, il a enfin eu sa promotion ? "

L'autre baissa la tête en répondant :

" Eh bien ... C'est le cas, mais il n'en aura pas profité longtemps ... "

Shas'ui s'interrompit soudainement en entendant Galakstrakk...

" Oh ... Je comprends. Il tenait tellement à être muté en Première Ligne, allez savoir pourquoi ...
A propos, je suppose que vous êtes relevés du Front pour quelques temps? Que l'on reconstitue votre unité ? "

L'autre acquiesça, mais sans répondre.
S'en suivit d'un silence gêné de la part de Galakstrakk, alors que Shas'ui reprenait son étude de la Carte d'Etat-Major ; le messager s'approcha et demanda d'un air intrigué :

" N'est-ce pas là une manière un peu ... Comment dire, rustique, que de gérer un champ de bataille, comme vous le faites? "

Shas'ui ne tourna même pas la tête, occupé à déplacer des pions à l'aide d'une petite tige, sur la carte topographique, enlevant des petits drapeaux d'une couleur pour en mettre d'une autre - qui semblait dominer au moins les deux-tiers de la carte .

" Je ne vois pas l'utilité de ces gadgets high-tech, de ces hologrammes et autres Plateaux Vision-Stratégiques ... Pour moi, l'Etat-Major peut très bien se résumer à une table, une carte et un Transmetteur.
Après tout, que ces méthodes soient rustiques ou non, elles ne m'ont pas empêchées d'atteindre le rang que j'ai aujourd'hui ! "

Se laissant aller à un discret ricanement, Shas'ui se releva en faisant douloureusement craquer son dos, alors que le battement en rythme d'un Tambour régimentaire guidant une nouvelle Colonne, retentissait en se rapprochant ...

Les deux personnages s'approchèrent de la baie-vitrée du Bunker de commandement où ils étaient, et observèrent la Troupe passer ...

... Quand l'un des soldats à l'uniforme vert-gris s'arrêta et couru vers l'entrée du Bunker, frappant de grands coups sur la porte du Sas blindé.

Shas'ui alla tranquillement ouvrir, demandant la raison d'une telle précipitation... L'autre le regarda d'un air étonné :

" Mais ... C'est que l'on doit se dépêcher! On n'a pas toute la journée, et on vous attends! Aussi, si vous aviez l'obligeance de nous rejoindre ... Si vous insistez, je peux vous préparer un véhicule, que vous ne salissiez pas votre Canne et votre beau manteau ... "

Le regard de Shas'ui devint vitreux, alors qu'il demandait :

" ... Comment ça, vous m'attendez ? "

L'autre lui posa un regard mi-étonné, mi-dédaigneux.

" Vous n'avez pas reçu une missive d'En-Haut ? "

D'un geste vague, Shas'ui la sorti de son manteau, la tenant à bout de bras.

" Si, bien sûr, la voilà... "

" Eh bien, vous ne l'avez pas lue ? "

Bien qu'il ai deviné la teneur de la missive, Shas'ui décacheta la lettre et, sans réfléchir, lut le texte écrit :

" ... Hm, hm, par ordre du Haut-Commandement, vous, Shas'ui, êtes requis pour diriger vos hommes sur le terrain, et êtes donc ordonnés de vous rendre sur le Secteur 12 pour prendre contact avec la Troupe et la mener ... "

Il ne finit pas la fin de la lettre - il l'avait lâchée, la laissant tomber sur le béton froid de l'entrée de son Bunker.

Le nouvel arrivant avait déjà reprit sa marche, et héla Shas'ui :

" Eh bien! Vous venez ? Vous avez comprit les ordres, non? "

Sans réfléchir, Shas'ui le rejoignit en marchant tranquillement, les yeux dans le vague; dans sa tête résonnait l'écho des chansons de Recrues, écho mort dans son esprit depuis plus de temps qu'il ne saurait le dire, depuis qu'il n'était plus allé en Première Ligne...

je veux dire par là qu'on dit tout en une seule fois... ' Fin voilà =)